:: 22

28 avril 2012

Le chanteur à voix, un de ceux jouissant d’une popularité inexplicable de l’autre côté de l’Atlantique, s’époumonait en une tirade visqueuse dans les haut-parleurs de la succursale.  Elle choisit un Cahors, presque sans réfléchir.

C’est en payant que tout cela fit son chemin, par cet itinéraire autour duquel, il y a longtemps, s’étaient formées des routes nerveuses vers des chambres désormais condamnées du cœur. À la surface, là où affleurent les terminaisons, à peine un picotement. En profondeur, une douleur fantôme presque plaisante, étonnamment incisive.

C’était vers la fin de l’été. Ils roulaient en direction de la plage géorgienne. Depuis des heurs le chanteur à voix tournait sans fin dans l’odeur d’iode et de fast-food qui baignait l’habitacle. Une musique choisie par l’autre femme, elle le devinerait plus tard. Tout comme elle comprendrait plus tard les explosions de rage au premier prétexte venu, les bouderies et les petites humiliations répétées sans raisons apparente qui pourrissaient l’ambiance du voyage comme les dernières pêches poissaient le sol des vergers locaux. Cette année-là, il abusait du Cahors et des répliques assassines.

En sortant avec ses emplettes, elle se dit pourtant qu’elle ne regrettait ni de l’avoir laissé partir, ni de l’avoir connu. Seulement de lui avoir accordé trop d’années.

Une autre soirée lénifiante l’attendait, à s’empêcher de ressentir quoi que ce soit entre le carré d’agneau et les récits de vacances dans Charlevoix. Comme tous ces gens sans histoire qui « aiment le vin rouge et les soupers entre amis ».

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:: 21

30 mars 2012

Petite, si tu savais.

Et en même temps, que puis-je te dire que tu n’apprendras par toi-même? De tout ce qu’on m’a dit et que j’écoutais distraitement en croyant le savoir, tout ce que j’ai professé avec l’arrogance de ceux qui n’ont jamais été laminés et s’en attribuent les lauriers, il ne me reste rien à raconter.

Je me suis heurtée à des pertes laissant une béance vertigineuse dans la fibre dont je croyais être tissée à vingt ans, des échecs inconcevables dans la méritocratie que nous croyons tous construire à cet âge. Et alors? Mes leçons ne sont pas les tiennes.

La vie est un malaxeur effroyable, magnifique et aveugle, petite. Des morceaux de ma candeur se sont ramassés malencontreusement au fond. Ce n’est ni bon ni mauvais et il n’y a rien d’autre à en dire. Tout le reste relève de la bêtise de ceux qui croient que le contrôle a préséance sur les mystères. La glorification sirupeuse de la victoire sur l’adversité relève tout particulièrement de cet esprit : une idée emballée sous vide qui suffit à réconforter ceux qui ne sortiront jamais de sous le ventre tiède duveteux de l’existence.

Petite, quand le gouffre s’ouvrira sous tes pieds, viens me voir. Ici le thé est bien chaud, les silences sont permis et les heures passent une à la fois. Crois-moi, c’est là tout ce qu’il faut pour vivre.

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:: 20

13 mars 2012

À l’intérieur, il y a déjà beaucoup de monde. On remarque quelques absents, qu’on imagine en retraite de yoga ou à l’hôpital. Il y a aussi les habitués, dont je fais partie.  Je n’aime pas trop l’admettre, mais c’est ainsi ; que je manque une seule semaine entière à l’appel, on me croira morte. Voilà qui ne ment pas.

La grande pièce est remplie de miroirs dans lesquels chacun de manque pas de s’admirer abondamment en guettant le regard des autres. On me reconnaît et, parfois, on me remarque, mais on a aussi beaucoup à faire remarquer : au cours de la soirée, je complimenterai une robe et des photos de voyage. Deux ou trois personnes m’embusqueront pour faire admirer le contenu de leur assiette, leur chrono au jogging ou leur animal domestique.

Je chercherai les personnes que j’aime et qui me manquent. Avec un peu de chance, j’aurai des nouvelles de cette amie qui doit accoucher d’un moment à l’autre, je pourrai échanger des idées personnelles avec une autre sur un livre, une artiste, une substitution dans une recette de gâteau, ou encore, plaisir suprême, improviser une joute d’absurdités avec cette cousine qui vient de plus en plus rarement. Mais la plupart du temps, je les verrai passer en regrettant de m’être laissée monopoliser par le pilier de la place, le même qui, dans l’espoir de garder votre attention toute la soirée, reprend à son compte chaque blague ou chaque rumeur glanée dans le groupe d’à côté.

Au terme de la soirée, trop tard à mon goût, trop vidée pour trouver la force de repartir, le cerveau gavé de redites sans originalité, avec au cœur la vague inquiétude d’avoir encore, cette fois-ci, manqué quelque chose de vraiment important, j’irai retrouver ma pile de vaisselle qui n’a pas bougé d’un iota en me disant qu’il faudrait bien que j’achète ces jolies chaussures et que cette fois vraiment, demain, je me coucherai tôt.

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:: 19

6 mars 2012

J’ai rarement rencontré une personne aussi bavarde.

Si bavarde, que parfois, oui, je l’avoue, j’oublie qu’elle me parle. Son flot de paroles est devenu un bruit de fond auquel, j’ai un peu honte de le dire, je me suis habituée.

De quoi me parle-t-elle? De tout et de rien, et, à mon avis, le plus souvent de rien. C’est qu’elle s’inquiète de tout : s’il restera du lait jusqu’à demain matin, s’il est préférable de choisir le papier de toilette le plus doux ou le plus résistant, si elle doit apporter son parapluie pour ce soir, si le soutien-gorge noir paraîtra sous le pull aux grandes mailles, si les chaussures rouges ce n’est pas un peu trop et les noires pas assez, ce que pouvait bien penser la dame qui la regardait de travers dans le métro, peut-être était-ce le soutif, le pull, les souliers, la pluie.

Parfois elle se demande si tout le monde se pose autant de questions. Si ceux qui s’en posent moins sont plus heureux. Être heureux sans s’en rendre compte, sans disséquer son bonheur, sans chercher à acquérir une connaissance intime et profonde de ses sources, est-ce que ça compte pour du bonheur, de l’acceptation sereine, de la sagesse ou de la lobotomie? J’aime ces discussions bruyantes et agitées autant que je les hais. Je n’arrive pas à décider si elles sont nécessaires, si elles nous définissent ou nous enterrent comme nous vivons, dans leur vacarme sans fin.

J’aimerais, entre deux respirations, qu’elle se taise un instant, pour voir.

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:: 18

28 février 2012

J’ai toujours été réaliste.

Mais il y a le téléphone. Ce n’est jamais toi qui appelles. Et chaque fois, ma déception est sincère.

Et ridicule.

Il y a ton contour tiède qui vient me broyer, la nuit, comme un membre fantôme après une amputation. Longtemps, je me suis entêtée à humer encore et encore les dernières molécules de tes suées nocturnes. Si tu savais! J’ai parlé des nuits entières avec tes acariens. Ensuite, quand j’ai été prise d’une prévisible frénésie javellisante, j’ai bien vu la futilité de tout ça : les draps changés, je dors tout de même dans ton ombre chaque soir. Elle couvre la chambre en entier, se coule entre mes clavicules frissonnantes et mes hoquets désordonnés, quand les sanglots se bousculent trop rapidement dans ma gorge.

Il y a les voix qui ressemblent à la tienne. Il y a les carrures. Les démarches. Une fois, j’ai même reconnu celle de tes chemises que je préférais. Mais rapidement, je me suis souvenue du sort que je lui ai réservé, un soir d’impuissance hurlante et morveuse, entre deux de mes passages à tabac rituels de ton oreiller.

Il y a ton odeur, humée au hasard des nuques d’hommes inconnus qui se succèdent frénétiquement dans les transports, ceux qui mènent au boulot ou encore à mes orgasmes creux. La petite mort.

Il y a ta Tercel grise. Chaque fois que j’en vois une semblable, tu ressuscites en quelque part entre mon nerf optique et mon cœur ; séisme porté en ondes par l’adrénaline, suivi dans la seconde par réplique implacable des images stockées dans ma mémoire. La Tercel déchirée et tordue, les rubans jaunes noués à la hâte, la couverture un peu trop petite pour toi et ta chaussure dans la voie de gauche.

Je suis réaliste et pourtant : chaque fois que mon téléphone sonne, je n’y peux rien ; c’est moi qui t’appelle.

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:: 17

21 février 2012

Je prends corps dans le soleil
Dans mon propre flottement
Je peuple l’air
Et me dépose enfin
Poussière.

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:: 16

20 février 2012

Les pieds sur l’eau noire, sur les fissures profondes qui vont jusqu’au coeur glacé de ce lac infiniment dense et calme, où mes jambes légères ont flotté l’été dernier, chaudes de la journée de marche, journée de sueur, journée de mouches, elles aussi noires, comme les eaux du lac, comme les épinettes calcinées, comme le ciel criblé, comme les excréments parsemés de petites baies de l’ours (jamais rencontré), comme la boue sur mes guêtres.

Aujourd’hui la glace, et cette fissure qui va jusqu’au fond, dans la vase, là où les choses se meuvent doucement sans mordre d’orteils.

Je suis debout sur l’eau, de l’autre côté, celui du vent.

Et les bois chantent.

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:: 15

11 février 2012

Je ne sais pas quand ni comment c’est arrivé, mais c’est ça qui est ça.

J’aurais voulu danser avec les étoiles, dompter la petite ourse et me parer de la ceinture d’Orion, rapailler sur une île secrète du Pacifique toutes les minutes d’attente qui suivent la composition du zéro-pour-parler-à-un-agent, tuer le dragon et sauver la princesse, sécher tes larmes. Mais. Parfois, je me dis que je suis tombé dans une craque de l’univers, avec les vieilles miettes et le petit change.

Alors j’arrête à la pharmacie et je te prends une boîte de chocolats aux cerises et le dernier bouquet un peu mou, en espérant que tu me pardonneras de n’être qu’un homme.

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:: 14

10 février 2012

Passer la nuit dans toute les villes et tous les bras,
Vivre comme on combine les alcools, sans mesure ni lendemain,
À s’en rendre malade, parfois.
Dilater son existence, palper toute la superficie de la vie.
Entendre une voix chuchoter, aux petites heures,
Qu’il faudrait bien en explorer la profondeur.

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:: 13

7 février 2012

Ma vie et mes choix m’étouffaient ; je m’étais marié à cette femme à l’esprit et aux traits fins que mes parents aimaient tant et que mes amis m’enviaient, tout comme le reste de mon existence : lisse et de bon goût. J’en étais venu à incarner l’image même de l’homme qu’adolescent je rêvais de devenir pour impressionner les sœurs de mon père. À cet égard, la galanterie qu’elles m’ont inculquée enfant allait bientôt devenir une arme de destruction sinon massive, du moins complète.

Car cette femme et cette vie, je les haïssais ; commode raccourci équivalant à me haïr, et avec moi ceux dont j’avais toujours cherché l’approbation. Et comme un bambin capricieux qui mesure l’étendue de son pouvoir en lançant ses jouets au mur, j’allais enfin tout démolir allègrement, cette femme, cette vie, et avec elles mon encombrant surmoi de carton-pâte, par la seule arme que je possède à la perfection : la séduction. Et avec elle, le scandale.

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